Seule une pierre dure comme les pierres du Jura rendait possible une telle architecture, non seulement par ses caractéristiques physiques, mais aussi par ses méthodes d’extraction et de taille, ici au cœur de l’expression sensible du bâtiment.

La raideur de cette pierre calcaire et sa résistance à la compression (180 MPa env.) permit à l’architecte d’assembler des éléments de construction à l’échelle du volume d’ensemble. Mieux : les procédés industriels associés au matériau façonnent notre perception de la construction.

Cette pierre extraite par tir de mines, par éclatement des stylolites puis débitée à la scie présente ainsi trois faces différentes : cannelures horizontales, « croûte » et brute de sciage. Le façonnage est parfaitement exclu, à l’exception de certains assemblages, et dans la stricte limite de la nécessité structurelle.

Ainsi, le bâtiment présente un visage varié, mais cohérent. L’architecte y révèle le matériau dans sa vérité la plus intime. En peinture, on appellerait cela un Nu. Comme un clin d’œil, un début de chapiteau ionique, « à l’écorchée » émerge d’un pilier laissé à l’abandon.

À l’heure où les mots « environnement », « développement durable » ou « soutenabilité » sont sur toutes les lèvres, je m’interroge sur les effets qu’opèrent ces mantras sur la production architecturale. Loin de nous aider à construire mieux, ces mots servent souvent de caution à la mise en place de systèmes plus polluants, plus fragiles et moins résilients que ne l’était la production des siècles passés.

Dans cet article, je vous expose quelle est ma vision d’une architecture vraiment durable.

Pour une durabilité intégrale

Lors de mon passage dans l’agence de Didier Repellin, j’ai approfondi ma connaissance du patrimoine. Le temps, le meilleur des juges, poursuivait sous mes yeux son œuvre de sélection : certains bâtiments passaient un, deux, trois siècles, parfois cinq, dix ou vingt sans rien perdre de leur pertinence. D’autres quoiqu’inscrits aux monuments historiques étaient déjà essoufflés par cent années d’existence. On les répare, mais il est clair qu’ils ne sont pas faits pour durer : trop mal construits, trop mal pensés, trop laids.

À travers cette multitude d’exemples a émergé un chemin que je veux parcourir avec vous : celui de la durabilité intégrale. C’est-à-dire une durabilité qui s’applique aux trois parties de l’architecture décrites dans cet article. En effet, si une œuvre architecturale est réussie par ce qu’elle arrive à faire coïncider la solidité, le confort et la beauté, elle ne peut prétendre à une véritable pérennité si la durabilité de ces trois aspects n’est pas garantie.

Solidité

La première des évidences est que pour prétendre faire une architecture durable, encore faut-il qu’elle ait les moyens physiques de cette durabilité. Une toiture en chaume, pour séduisant que soit le concept, ne peut prétendre à la même durabilité qu’une toiture de lauzes. De même, les maisons en carton, en plastique et autres matériaux « léger », sont condamnées à disparaître à brève échéance. Leur entretien devient de plus en plus complexe et couteux au fur et à mesure que le temps passe, et il s’avère souvent plus simple de les démolir que de les maintenir en vie.

Cette question de la matérialité est la partie émergée de l’iceberg, la plus évidente, et pourtant la plus délaissée des bâtisseurs qui cherchent à réduire le plus possible les coûts de construction. Les récents scandales du pont de Gène ou du balcon d’Angers nous montrent le prix à payer lorsqu’on néglige la substance même de l’architecture : sa matérialité.

Si construire léger peut paraître séduisant à court terme par a faible quantité de matière mise en œuvre, ce modèle est impossible à soutenir sur le long terme, car il implique une reconstruction continue du patrimoine, entraînant la mobilisation de ressources naturelles et financières importante.

Au contraire, une architecture construite « une bonne fois pour toutes » rendra de bons et loyaux services pendant des siècles. On investit plus pour dépenser moins.

Disposition

De bons et loyaux services à condition d’être capable de s’adapter. Une partie de l’architecture moderne s’est construite autour de la croyance que « la forme suit la fonction ». En réalité, la forme d’une architecture doit être capable d’assumer plusieurs fonctions. C’est la flexibilité fonctionnelle.

À ce titre, une organisation interne trop spécifique rend difficile la réhabilitation du bâtiment le mieux construit et le plus solide qui soit, car elle fige le bâti dans un usage unique, le rendant impropre à toute autre occupation. Pour assurer la pérennité de l’architecture, il faut aussi la penser dans son ordonnancement, dans sa structure organisationnelle.

L’architecture néo-classique du XVIIe siècle italien fut pour moi une école de pensée fondamentale. Cette réinterprétation de la conception antique de l’architecture a donné naissance à des bâtiments fortement structurés, capable d’absorber tous les changements d’usages. En nous appuyant sur l’abstraction du plan au sens pythagoricien, géométrique du terme, nous pouvons pérenniser l’architecture en la rendant capable d’accueillir plusieurs usages de manière simultanée ou consécutive. Un hôtel particulier peut devenir une ambassade, une école, un musée, des bureaux, ou être découpé en appartement sans intervention majeure et en conservant son aspect d’origine.

Ornementation

Aspect qu’il convient de travailler pour qu’il participe à la durabilité du bâtiment. En effet rien n’est pire qu’un bâtiment démodé. 

Mais d’abord, précisons le mot. L’ornementation n’est pas seulement la décoration. C’est ce qui rend l’architecture agréable à regarder, à parcourir, à écouter.

Lorsqu’on aborde ce sujet par le biais de la pérennité, il nous faut trouver la solution au problème suivant : comment rendre un bâtiment appréciable pour la multitude des générations à venir. Quelles fondations seront assez solides pour nous porter à l’universel.

J’ai une approche classique de l’esthétique. Classique, c’est à dire qui cherche à s’affranchir des modes passagères pour s’ancrer dans une démarche à la fois rationnelle et sensible, loin des discours intellectualisant et conceptuels. Cette approche correspond selon moi à notre culture helléno-chrétienne, faite de ratio et de passio : de raison et de passion.

Une esthétique de la raison.

En recherchant l’harmonie, l’architecte qui manipule la mesure s’appuie sur la géométrie pythagoricienne. Le carré, le cercle, les rectangles dynamiques… cette boîte à outils constitue un cadre solide dans lequel l’imagination peut s’exprimer avec sûreté. En faisant de chaque partie du bâtiment la mesure du tout auquel elle participe, je vous propose une esthétique de paix qui entre en résonance avec les proportions présentes dans la nature.

Une esthétique de la passion

Mais parce que la beauté échappe à la loi des nombres, la géométrie serait trop sèche si elle ne servait de support à l’expression d’une sensibilité liée au maître d’ouvrage, à l’époque et à l’architecte. Comme un peintre plisse les yeux pour ajouter un coup de pinceau final, je ne perds pas de vue le but ultime d’une œuvre sensible : satisfaire notre perception du réel et créer l’émotion.

Quelle durabilité ?

Loin d’un simple greenwashing, mon approche de la pérennité cherche au contraire à aller au fond des choses et embrasser l’ensemble de la problématique. Cette conception théorique est libre de droits, et offre à chaque sensibilité la possibilité de s’exprimer.

Pour ma part, je privilégie les matériaux naturels les plus à même de rester en cohérence avec ma vision de l’architecture durable, en premier lieu desquels la pierre.

Composée à l’origine pour le palais d’un prince napolitain au XVe siècle, la façade très expressive du Gesù Nuovo présente un parement en Piperno, pierre de lave napolitaine.

La noirceur et l’homogénéité du matériau sont accentuées par un bossage en pointe-de-diamant, et une disposition très régulière des assises.

L’abstraction de cette trame en échiquier, filant « en-dessous » des baies et de leurs encadrements, semble échapper à l’élément de modénatures qui la cadrent, et participe d’une sensation d’unité, de puissance.

Judicieusement placé sur la façade sud, ce traitement uniforme et désincarné gomme complètement l’identité du matériau au profit d’un abrupt jeu d’ombres et de lumières.

Le soleil, presque toujours rasant, creuse violemment la façade, anime cet immense pan de mur aveugle.

Les contrastes trop francs brouillent paradoxalement la lecture du relief, rend ardu le discernement du proche et du lointain et plonge l’observateur trop assidu dans une forme d’hypnose.

Impénétrable et dangereux, ce palais manifeste non seulement la force physique, mais transpire l’ésotérique et le secret.

Un chef-d’œuvre d’architecture.

L’adéquation entre le matériau, le mode constructif, le système de proportion et la répartition des pleins et des vides atteint une harmonie dont je n’aurai de cesse de me nourrir.

Érigée avec des blocs de grès de plusieurs tonnes agrafés entre eux, la chapelle blanche de Sésostris Ier fut reconstitué au XXe siècle. Des égyptologues en ont retrouvé les pierres, réutilisées dans les fondations d’un des pylônes du temple.

Le grès utilisé ici se fond dans les couleurs environnantes. Les nombreux hiéroglyphes gravés sur sa surface, imperceptibles de loin, donnent au bâtiment une vibration grandissante au fur et à mesure que l’observateur s’ap-proche. Ils jouent presque le rôle d’un bouchardage.

Je vous joins également les plans de cette chapelle, redessinés par mes soins. J’admire l’élégance avec laquelle la dimension de chaque élément est en cohérence avec un système de proportion élémentaire mais savant, et un mode constructif des plus archaïques. La rigueur un peu sèche des volumes est adoucie par une modénature aux profils généreux.

Vous pouvez enfin profiter d’une expérience en volume (et en VR pour les mieux équipés) grâce à sketchfab.

Chapelle Blanche de Sesostris Ier

Que vous ayez déjà pensé à chaque aspect de votre projet ou que vous en soyez encore au stade du rêve, une question vous traverse l’esprit par moments : mais en fait, qu’es ce que l’architecture ?

Dans cet article, je vous propose de découvrir de manière très simple un mot dont la définition peu paraître obscur. Nous exploreront ainsi quelles sont les différentes parties qui composent une discipline que la tradition qualifie de « premiers des Beaux Arts », et son but final. C’est également l’occasion pour vous de vérifier que nos univers ont sufisament en commun pour que vous ayez envie de faire appel à mes services. En effet, la définition que j’ai de l’architecture est une issue d’une culture classique, et n’est pas partagée par l’ensemble de mes confrères.

L’architecture : l’art de bâtir ?

On peut définir très simplement l’architecture comme l’art de bâtir. De ce point de vue, toute construction est un spécimens de cette discipline. Mais de la même manière qu’on distingue la toile de maître de la croûte, on doit distinguer l’œuvre architecturale de la bâtisse : toute construction faite de main d’homme ne sont pas de même qualités.

Pour être capable de faire ce travail critique, les architectes de l’antiquité nous ont transmis trois outils qui permettent à la fois de définir leur art, mais aussi d’en proposer une pratique dialectique, c’est à dire capable de faire coïncider des notion en apparence contradictoires dans un tout qui les transcende.

Les trois piliers de l’architecture

Au premier siècle avant Jésus-Christ, l’architecte romain Marcus Vitruvius Pollio dédicace à l’empereur Auguste un ouvrage qui deviens le premier traité d’architecture connu à ce jour. Pour Vitruve, l’architecture s’articule autour de trois notions fondatrices :

  • Firmitas : la solidité ;
  • Commoditas : l’ordonancement ;
  • Venustas : la beauté.
Vitruve auteur antique sur l'architecture
Vitruve, auteur du seul ouvrage antique connu sur l’architecture

Ni l’ingéniosité sans la discipline, ni la discipline sans l’ingéniosité ne peuvent édifier une œuvre parfaite.

Vitruve – De architectura

Chacune d’entre elles participe à faire une œuvre complète. La qualité des relations qu’elles entretiennent occupe une place fondamentale dans la qualité du résultat final. Les plus belles pièces d’architecture parviennent faire coexister ces trois dimensions de manière si intime qu’elles finissent par se fondre dans un tout indissociable.

Firmitas : la solidité

C’est la première chose que l’on demande à un bâtiment : la solidité. C’est la plus essentielle des parties de l’architecture, amis aussi celle qui est le moins sujete au changement d’appréciation : dans la Rome antique comme aujourd’hui, on entends par solidité la capacité d’un bâtiment à faire face aux outrages du temps. Cette capacité est acquise ou fragilisée à chaque étape du projet : le choix du site de construction, des matériaux, des techniques constructives, de leur mise en œuvre… jusque dans les détails d’exécutions, qui peuvent vite faire la différence entre une maison saine ou humide.

Aqueduc et viaduc pont du gard

Le Pont-du-Gard est un des exemples éloquent en France de la durabilité des constructions Romaines.

Construire un bâtiment solide, c’est être capable de synthétiser les enjeux « physiques » du projet, depuis la compréhension du climat jusqu’à la mécanique des matériaux. C’est une notion que j’ai particulièrement à cœur, à une époque où nous créons un patrimoine mort-né.

Commoditas : le confort

Le confort d’un bâtiment se déploie à travers de multiples aspects, depuis l’intelligence de la disposition intérieur, jusqu’à la qualité des apports lumineux. Aujourd’hui, on doit aussi y intégrer les notions de confort thermique, de qualité de l’air ou même la domotique. D’un point de vue général, le confort d’un projet résulte de l’adéquation entre son programme et son organisation fonctionnelle. Si cette relation est ajustée, la pratique du bâtiment est aisée, agréable, apaisante. Si elle est contrainte ou négligée, la pratique devient épuisante et peut influer de manière importante, bien qu’insidieuse sur la santé des usagers.

Construire un bâtiment « commode », c’est être capable de traduire les enjeux fonctionnels d’un projet en un schémas simple, performant et souple.

Venustas : la beauté

Car si l’architecture se prétends « le premier des beaux arts », il faut qu’elle s’en préoccupe.

La beauté est une expérience sensible, elle est donc par définition intime et subjective. Par contre, ce qui est le support de cette expérience (une maison, un moulins, un palais) doit tendre à l’universel pour toucher une majorité de personnes.

La beauté s’adresse à nos sens, elle passe donc par la matière. C’est une banalité qu’il est bon de rappeler, si l’on ne veut pas faire de notre travail une aventure intellectuelle et désincarnée. Par exemple la peinture s’exprime par de la matière colorée appliquée sur un support, la musique par une vibration de l’air, la danse par le mouvement des corps. L’architecture, par sa nature même s’adresse aux cinq sens (sauf le goût, quoi-que : il y a des maisons de pain d’épice).

  • On la voit,
  • on l’entend,
  • on la sent,
  • on la touche.

Cette complexité doit cependant être résolue dans un seul élan créateur. L’outil que j’utilise pour y parvenir est également emprunté à la culture classique : c’est l’eurythmie.

L’eurythmie cherche le mouvement juste, et privilégie une approche globale de l’œuvre, en vue de faire naître l’Harmonie. Celle-ci est atteinte lorsque chaque élément qui composent un tout est à la fois partie et mesure de ce dernier. Concrètement, elle se traduit par la qualité des proportions, l’équilibre des couleurs, les finitions de matière, la justesse des apports lumineux…

C’est un outil à la fois performant, sûr et très flexible car il s’adapte à tous les programmes et à toutes les échelles de projet.


Et l’architecture dans tout ça ?

L’œuvre authentique apparaît lorsque la solidité, l’ordonnancement et la beauté d’un bâtiment sont indissociables l’une de l’autre. En exemple, je vous invite à observer attentivement la chapelle mortuaire de Sésostris Ier, à Karnak. L’adéquation entre les trois partie de l’architecture y est d’une rare perfection.

Cette approche théorique n’est pas un but mais un outil au service de mes clients. Elle doit me permettre de répondre à leur attente pratiques, mais aussi de me guider dans l’interprétation de leur vision esthétique. Je crois aussi qu’au delà de leur satisfaction, je dois assurer la pérennité de la construction et penser aux générations futures.